Abraham face à l’épreuve du sacrifice

Abraham face à l’épreuve du sacrifice

Abraham (paix sur lui), à la lumière des récits du Coran, a fait de son mieux pour inciter son peuple à s’affranchir de l’habitus idolâtre aux fins d’adhérer pleinement à la foi au Dieu unique, Maitre des mondes.

 Au final, son peuple finit par le jeter dans une fosse de feu d’où il sort indemne, sain et sauf, laissant ses bourreaux éberlués et marqués par la défaite et l’échec de tout ce qu’il a tenté contre ce fils qui ne veut pas rejoindre le culte populaire : « Ils voulurent lui jouer un mauvais tour; mais ce sont eux que Nous mîmes à bas » (Coran 37 : 98). Abraham affirma avec une détermination hors du commun sa prise de distance avec son peuple y compris son père tant que celui-ci et celui-là persisteraient dans l’idolâtrie : « Et mentionne dans le Livre, Abraham. Il était vraiment véridique et un Prophète. Lorsqu’il dit à son père : «Ô mon père, pourquoi adores-tu ce qui n’entend ni ne voit, et ne te préserve de rien? Ô mon père, il m’est venu de la connaissance ce que tu n’as pas reçu ; suis-moi donc et je te guiderai sur une voie droite. Ô mon père, n’adore pas le Diable, car le Diable s’est rebellé contre le Tout Miséricordieux. Ô mon père, je crains qu’un châtiment venant du Tout Miséricordieux ne te touche et que tu ne deviennes un allié du Diable». Il dit : «Ô Abraham, aurais-tu du dédain pour mes divinités? Si tu ne cesses pas, certes je te lapiderai, éloigne-toi de moi pour bien longtemps». «Paix sur toi», dit Abraham. «J’implorerai pour toi le pardon de mon Seigneur, il est si généreux avec moi. Je me sépare de vous, ainsi que de ce que vous invoquez, en dehors d’Allah, et j’invoquerai mon Seigneur et ne serai pas, j’espère, déçu en Le priant». (Coran 19 : 41-48)


Récit, interprétation et sens

Aussi, Abraham laisse le roi de son époque muet lorsque dans un échange, il l’oblige par un argument de raison à se taire, lui qui se prenait pour celui qui donne la vie et la mort : « N’as-tu pas su (l’histoire de) celui qui, parce que Dieu l’avait fait roi, argumenta contre Abraham au sujet de son Seigneur ? Abraham ayant dit : « J’ai pour Seigneur Celui qui donne la vie et la mort », « Moi aussi, dit l’autre, je donne la vie et la mort. » Alors dit Abraham : « Puisque Dieu fait venir le soleil du Levant, fais-le donc venir du Couchant. » Le mécréant resta alors confondu. Dieu ne guide pas les gens injustes » (Coran 2 : 258) 


Abraham comprend qu’il n’y a plus rien à attendre de ce peuple, de ce père et de ce roi, et se tourne vers son Seigneur afin qu’Il lui trouve une issue : « Ils voulurent lui jouer un mauvais tour ; mais ce sont eux que Nous mîmes à bas. Et il dit : «Moi, je pars vers mon Seigneur et Il me guidera » (Coran 37 : 98-99) Les sources musulmanes indiquent qu’Abraham prend finalement le chemin de l’exil vers le pays de Châm. A noter qu’il émigre avec son neveu Loth (paix sur lui) : « Loth crut en lui et lui dit : ”Moi, je veux émigrer vers mon Seigneur. Il est, en vérité, le Puissant, le Sage ! » (Coran 29 : 26) ; « Et Nous les avons sauvés, lui et Lot, et les avons conduits vers la terre que Nous avons bénie pour tous les peuples. » (Coran 21 :71. C’est après ces événements douloureux de confrontation et de séparation qu’Abraham invoque son Seigneur pour qu’Il lui fasse don d’une progéniture vertueuse : « Seigneur, fais-moi don d’une [progéniture] d’entre les vertueux». Nous lui fîmes donc la bonne annonce d’un garçon magnanime » (Coran 37 : 100-101)


Cette invocation se comprend pour qui sait qu’il ne pourra pas avoir un commun destin avec son peuple et qu’il a quitté sa terre natale pour sauvegarder sa foi. Abraham veut maintenant fonder à travers des personnes issues de lui un peuple qui croira au Dieu unique et saura observer Ses commandements. C’est pourquoi, il ne demande pas un ou des enfants mais des « sâlihîn » (vertueux). Dans les lignes qui suivent, nous allons examiner de près les événements liés au sacrifice tel que rapporté par le Coran et tel qu’approximativement cela peut se rendre en français.


A notre humble avis, le récit commence avec l’invocation d’Abraham relative à une vertueuse progéniture suivie de la divine et heureuse annonce faite à Abraham de la naissance d’un « gulâm » (garçon) qualifié de « halîm » (au doux caractère, magnanime) : « Seigneur, fais-moi don d’une [progéniture] d’entre les vertueux». Nous lui fîmes donc la bonne annonce d’un garçon magnanime ». 



Donc, après avoir été prêt à mourir pour sa foi, à quitter sa terre natale et son peuple, Dieu donne exauce l’invocation d’Abraham. Mais, à cette étape du récit, on ne peut connaitre l’identité de l’enfant annoncé à Abraham. C’est en 6 versets du 102 au 107 que le récit du Coran parle des événements du sacrifice en tant que tel : « Puis quand celui-ci fut en âge de l’accompagner, [Abraham] dit : «Ô mon fils, je me vois en songe en train de t’immoler. Vois donc ce que tu en penses». (Ismaël) dit : «Ô mon cher père, fais ce qui t’es commandé : tu me trouveras, s’il plaît à Allah, du nombre des endurants». Puis quand tous deux se furent soumis et qu’il l’eut couché sur le front, voilà que Nous l’appelâmes «Abraham ! Tu viens de confirmer la vision. C’est ainsi que Nous récompensons les bienfaisants» C’était là certes, l’épreuve manifeste. Et Nous le rançonnâmes d’une immolation généreuse » (Coran 37 : 102-107)


Le récit se poursuit sans transition après l’heureuse annonce de la naissance du fils magnanime : « Puis quand celui-ci fut en âge de l’accompagner ». Ce segment de verset indique que cet enfant a atteint l’âge de marcher avec son père Abraham, il se situe donc dans la prime adolescence. C’est à ce moment qu’Abraham, ce qui précède indique que ce ne peut être que lui, s’adresse à cet enfant, en ces termes : « Je me vois en songe en train de t’immoler » Nombre de traducteurs rendent cette expression par le passé et écrivent « je me suis vu en songe… » Or, c’est le temps présent « al mudâri ‘ » qui est employé dans le verset. Ce qui fait dire aux commentateurs qui ont le plus fait attention à ce « problème » de temps que cela indique le mode de « takrâr », donc qu’Abraham voit à plusieurs reprises le même songe où il se voit immolant le fils magnanime. D’où les autres commentaires qui expliquent qu’Abraham a fait ce rêve le 8e jour du mois de Zul hijja appelé de ce fait « yawmut-tarwiya » (le jour du rêve) mais que c’est au 9e jour qu’il a la certitude que ce rêve est une révélation divine et non une œuvre du Diable, c’est « yawmul ‘arafah » (jour de la certitude). Et c’est au 10e jour qu’Abraham prend les dispositions pour accomplir le sacrifice, c’est le « yawmun-nahr » (le jour de l’immolation ou du sacrifice).


La part de l’épreuve du fils

Selon cette compréhension, c’est progressivement qu’Abraham sait avec certitude que ce qu’il voit en rêve est une révélation divine. Dans le cas du rêve d’Abraham, il se voit en train d’immoler son fils mais au final, c’est une bête qui tient lieu du sacrifié et non la personne du fils magnanime.   


Puis le récit se poursuit par un échange entre Abraham et son fils : « Vois donc ce que tu en penses », littéralement « regarde ce que tu vois » mais il est clair qu’ici il s’agit du voir par l’esprit comme l’explique le commentateur contemporain Ibn ‘achûr. Il y a donc dans l’expression « fanzur mâzâ tarâ » une invitation adressé au fils afin qu’il se détermine après mûre réflexion par rapport à l’information mystérieuse que lui donne son père. Le fils magnanime répond : «Ô mon cher père, fais ce qui t’est commandé, et tu me trouveras, s’il plaît à Dieu, du nombre des endurants». 


Le fils magnanime fait ce que les oulémas appellent « al insti ‘anah billah » (demander assistance à Dieu). Ce « sabr », cette endurance pour laquelle le fils magnanime attend humblement l’aide divine est définie par les oulémas comme étant l’attitude ou la posture que le croyant adopte face à l’épreuve sans jamais désespérer de Dieu et sans pour autant en savoir le terme.


Cette réponse se compose de deux propositions : une première qui s’adresse à son père et une seconde qui le concerne lui-même. A son père Abraham, le fils dit d’observer le commandement qu’il a reçu, de Dieu s’entend, vu qu’il fait référence à Celui-ci dans la seconde proposition à travers l’expression « inchâ-Allah » De son côté le fils se dit prêt à adopter une attitude d’endurance avec le soutien de Dieu. Rien dans le récit n’indique comment le fils en est arrivé à savoir que ce rêve est un ordre divin donné à son père, et pourtant, il parle de commandement « amr » dans sa réponse ! Peut-être que c’est parce-que lui aussi a eu cette connaissance durant le temps de réflexion qu’il s’est accordé, même si sa réponse semble instantanée dans le récit, par un créneau qui nous échappe. En tout cas, le fils ne tente pas son père, à supposer que ce dernier ait pu hésiter par pitié pour lui : « tu dois obéir et je compte supporter » Nous disons, à supposer qu’Abraham fût traversé par l’émotion naturelle d’attachement et de protection du fils magnanime car, lui, a démontré ne serait-ce que face à son peuple, qu’il était prêt à mourir pour sauvegarder sa foi, c’est-à-dire en tant que « muslim », soumis à Dieu, même par le feu.


De son côté, le fils assume sa part de l’épreuve, lorsqu’il dit avoir l’intention de subir, mais de ne le pouvoir dignement qu’avec l’aide de Dieu. En effet, jusqu’au bout de l’épreuve, il pourrait être vaincu par la tentation de fuir, n’oublions pas qu’il est en âge d’accompagner son père donc, aussi de pouvoir prendre la fuite. Le fils magnanime fait ce que les oulémas appellent « al insti ‘anah billah » (demander assistance à Dieu). Ce « sabr », cette endurance pour laquelle le fils magnanime attend humblement l’aide divine est définie par les oulémas comme étant l’attitude ou la posture que le croyant adopte face à l’épreuve sans jamais désespérer de Dieu et sans pour autant en savoir le terme. Certains commentateurs font aussi remarquer que le fils ne dit pas « Père, immole-moi » mais, « Père, fais ce qui t’est ordonné » encore pour le soulager et lui dire de s’en tenir à la posture du croyant soumis qui obéit à un commandement de Dieu peu importe l’objet sur lequel porte celui-ci. Mais le fils magnanime ne dit pas : « Père, je t’appartiens, fais ce que tu veux de moi !»


La détermination d’Abraham

Quand Abraham s’est adressé à son fils, il était déjà soumis dans son cœur et n’attendait que la position de son fils dans cette épreuve partagée. C’est peut-être ce qui explique que la forme du duel (deux personnes dans la grammaire arabe là où le français ne prend en compte que le singulier et le pluriel) ne soit utilisée qu’après que le fils a fait montre de sa soumission résolue : « Et lorsqu’ils se furent soumis tous les deux » La soumission est d’abord dans le cœur et doit être confirmée par l’acte d’accomplissement concret du commandement. Le récit se poursuit : « Puis quand tous deux se furent soumis et qu’il l’eut mis sur le front, voilà que Nous l’appelâmes «Abraham ! Tu as confirmé le songe ».


Entre le fils couché sur le front et le père en position de l’immoler, il n’y a que cette voix divine qui retient la main d’Abraham d’où la conjonction de coordination « wa » entre l’immolation presqu’accomplie et la voix de Dieu qui interpelle le fidèle « (…) wa nâdaynâhu ». Cette divine voix lui dit qu’il n’a pas besoin d’aller plus loin et que son acte de soumission et d’obéissance est agréé et reconnu de Dieu comme sincère et complet : « Tu as confirmé le songe ». Dit autrement, tu as réalisé ce qui était attendu de toi dans cette épreuve qui t’est apparue sous forme de songe.


Du verset 105 au 113, le récit nous parle de l’épilogue des événements du sacrifice, la suite que Dieu donna à l’attitude d’Abraham et autres choses y afférentes : « Tu as confirmé le songe. C’est ainsi que Nous récompensons les bienfaisants». C’était là certes, l’épreuve manifeste. Et Nous le rançonnâmes d’une immolation généreuse. Et Nous perpétuâmes son renom dans la postérité : «Paix sur Abraham». Ainsi récompensons-Nous les bienfaisants ; car il était de Nos serviteurs croyants. Nous lui fîmes la bonne annonce d’Isaac comme prophète d’entre les gens vertueux. Et Nous le bénîmes ainsi que Isaac. Parmi leurs descendances il y a [l’homme] de bien et celui qui est manifestement injuste envers lui-même » (Coran 37 : 105-113)


C’est Dieu Lui-même qui atteste de la détermination d’Abraham d’aller jusqu’au bout de l’épreuve n’était-ce Sa voix qui l’en a empêché. Abraham est ensuite compté parmi les « muhsinûn », les bienfaisants au sens de fidèles jusque dans la belle et digne manière d’observer le commandement du sacrifice. Dans tout le déroulement de l’épreuve, Abraham se comporte de belle manière, ne fait ni ne dit rien qui puisse laisser paraitre un tremblement de sa foi, un doute, ou des attitudes de ce genre. Il est « muhsin » en ce qu’il a agi comme si Dieu était devant lui. Et c’est seulement ici que le terme « balâ-e » (épreuve) est mentionné dans le récit. Donc on sait maintenant de quoi tout cela retourne : Dieu a qualifié ce songe d’Abraham d’épreuve « mubîn » (manifeste). En parlant de l’épreuve manifeste et non d’une épreuve, le récit attire notre attention sur la singularité de celle-ci en ce qu’elle fut de nature à montrer nettement la grandeur de la foi d’Abraham qui montre qu’il est prêt à ne rien refuser à Dieu et à écarter tout ce qui pourrait lui faire rater Son agrément et l’éloigner de Lui : l’amour du premier fils magnanime à l’âge de la prime adolescence, engendré étant vieux, retrouvé une dizaine d’années après sa naissance dans le désert ! Dieu remplace ou substitue une bête imposante et belle, disons parfaite dans son genre au fils, au fils magnanime.

iqna

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