Le retour de la guerre froide au Moyen-Orient ?

La rivalité entre les États-Unis et la Chine est entrée dans une nouvelle phase au Moyen-Orient ; des accords de Pékin avec les Houthis et son soutien à l'Iran, aux opérations conjointes de Washington et Tel-Aviv contre Téhéran. Ce qui ressemblait autrefois à un rappel de la guerre froide est désormais devenu une arène à haut risque pour le conflit des grandes puissances ; un lieu où l'énergie, la sécurité et la crédibilité mondiale sont inextricablement liées.

ID: 84015 | Date: 2025/09/05

Selon un rapport du service international de Jamaran, Stephen A. Cook, chercheur principal en études sur le Moyen-Orient et l'Afrique au Council on Foreign Relations (CFR), a écrit dans une note pour Foreign Policy : 


« Le printemps dernier, j'ai eu l'occasion de me rendre à Hong Kong. Au cours de ce voyage, j'ai rencontré un certain nombre de personnes de la Chine continentale et nous avons discuté d'une série de sujets à l'ordre du jour des relations entre Washington et Pékin. Lorsque la conversation s'est tournée vers le Moyen-Orient, l'un de mes interlocuteurs a souligné que la perspective de Pékin sur cette région différait de celle de Washington, déclarant : "Nous voulons simplement acheter et vendre au Moyen-Orient, c’est tout." Au cours des dernières années, de nombreux analystes occidentaux ont décrit la politique de la Chine au Moyen-Orient de cette manière, mais la question se pose : l'approche de Pékin est-elle en train de changer ? »


De la neutralité de la Chine à la reconstruction des capacités militaires de l'Iran


Suite à la fin des affrontements entre l'Iran et Israël fin juin, de nombreux rapports ont fait état des efforts de Pékin pour aider Téhéran à reconstruire ses capacités militaires. Si ces rapports sont avérés, une telle action marquerait un changement fondamental dans la position officielle de neutralité de la Chine vis-à-vis des conflits au Moyen-Orient. La question principale est : pourquoi ce changement se produit-il ?


L'atmosphère de guerre froide et la nouvelle rivalité par procuration


Bien que cette situation ne puisse pas encore être précisément comparée à l'atmosphère de la guerre froide, une forme de conflit par procuration semblable aux rivalités des années 1980 semble se dessiner. Les États-Unis et Israël ont infligé des dommages considérables à l'Iran, et la Chine, pour protéger ses investissements en Iran, semble être arrivée à la conclusion qu'elle doit aider le pays à reconstruire ses capacités de défense. Tout observateur familier avec l'histoire des relations entre les États-Unis et l'Union soviétique reconnaîtra facilement ce schéma – un schéma qui ne promet pas une plus grande sécurité régionale.


Les intérêts économiques de la Chine : énergie et stabilité


Les intérêts de la Chine au Moyen-Orient tournent toujours autour de la même nécessité que j'ai entendue à Hong Kong : vendre des produits à la région et en acheter – principalement de l'énergie. Ainsi, Pékin recherche la stabilité régionale, la libre circulation des ressources énergétiques, la liberté de navigation et l'accès aux marchés. Ces objectifs chevauchent les intérêts des États-Unis au Moyen-Orient, mais au lieu de coopérer, Washington et Pékin sont engagés dans une rivalité stratégique. Une rivalité qui concerne moins le Moyen-Orient et davantage des questions comme Taïwan, les sphères d'influence revendiquées par la Chine en Asie, et l'affrontement inévitable entre une puissance établie et une puissance émergente pour modifier l'ordre mondial à son avantage. Pourtant, cette rivalité se manifeste dans diverses régions du monde, y compris le Moyen-Orient, où Washington et Pékin ne cessent de tancer de se devancer.


Le Yémen et les Houthis : la confrontation de deux approches 


Le Yémen et les Houthis sont un exemple clair de la manière dont la rivalité entre la Chine et les États-Unis se manifeste. Bien que les deux pays aient un intérêt commun à garantir la liberté de navigation, ils ont choisi des approches totalement différentes face au défi posé par les Houthis en mer Rouge. Pékin a pratiquement conclu un accord avec les Houthis pour garantir que les lignes maritimes chinoises soient épargnées par les attaques. Washington, en revanche, a eu recours à la force militaire pour tenter de repousser les Houthis – une approche qui a produit des résultats peu durables. Cette situation est le meilleur scénario pour Pékin : les États-Unis paient le prix de leurs attaques contre les Houthis dans l'opinion publique mondiale, et leurs ressources militaires, qui auraient pu être déployées en Asie, sont engluées au Moyen-Orient. De plus, l'armée chinoise utilise sa base à Djibouti pour observer de près les méthodes opérationnelles de la marine américaine ; une connaissance qui pourrait s'avérer utile en cas de conflit dans le détroit de Taïwan.


L'exploitation par la Chine de la guerre à Gaza


La Chine a également exploité le soutien de Washington à Israël après les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 pour renforcer sa propre position de supériorité, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans ce qu'on appelle le « Sud global ». Pékin a adopté, contrairement à son habitude, un ton fortement critique envers Israël ; un ton qui semble moins lié à la souffrance des Palestiniens à Gaza qu'à l'objectif d'associer les États-Unis à cette souffrance, endommageant ainsi davantage la crédibilité mondiale de Washington.


Le pétrole iranien : un besoin vital pour Pékin


L'accord avec les Houthis et le durcissement des positions anti-israéliennes sont des outils peu coûteux pour les décideurs politiques chinois afin de créer des ennuis à leurs homologues américains. Cependant, cette approche est totalement différente de la politique de Pékin envers l'Iran – un pays dont la Chine a réellement besoin. Le gouvernement chinois pourrait se passer des Houthis ou de la rhétorique anti-israélienne, mais il ne peut tout simplement pas trouver de substitut aux environ 13 % de son pétrole importé de Téhéran. Cette part est cruciale pour le plus grand importateur de pétrole brut au monde – avec 11,1 millions de barils par jour en 2024 – et c'est la principale raison pour laquelle Pékin s'est intéressée à la stabilité de l'Iran.


En 2021, les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont signé un accord de coopération de 25 ans. Bien que la version finale de cet accord n'ait jamais été rendue publique, le *New York Times* a obtenu un projet qui engageait Pékin à investir 400 milliards de dollars en Iran, en échange de la garantie d'un approvisionnement continu en pétrole à prix considérablement réduits. Bien que l'accès facile de la Chine aux ressources énergétiques était au cœur de cet accord, le projet incluait également des clauses sur la mise en œuvre de projets d'infrastructure ainsi que sur l'expansion de la coopération en matière de défense et de sécurité.


Malgré les différences potentielles entre l'accord final et le projet initial, le seul commerce pétrolier indique à lui seul une relation plus étroite entre Pékin et Téhéran – une relation que de nombreux analystes et décideurs politiques ont négligée à tort. C'est pourquoi, contrairement aux points de vue des isolationnistes, des réalistes et des critiques habituels d'Israël, la guerre entre l'Iran et Israël en juin n'a pas profité à Pékin.


Les opérations militaires israéliennes menées avec une technologie de pointe, ainsi que les frappes aériennes américaines sur trois sites nucléaires iraniens, ont placé Pékin en position de retardataire à deux égards. Premièrement, ces actions semblent avoir renforcé l'ordre régional dirigé par les États-Unis. Ces dernières années, alors que les administrations démocrates et républicaines cherchaient à réduire la présence américaine au Moyen-Orient, cette tendance a poussé les dirigeants régionaux à se tourner vers la Chine (et la Russie) pour équilibrer les influences. Cependant, l'opération « Midnight Hammer » (Marteau de Minuit) a démontré que Washington prenait au sérieux les préoccupations sécuritaires des pays de la région – et pas seulement d'Israël. Cela a consolidé un ordre qui semblait auparavant vaciller en raison de la politique américaine de « pivot vers l'Asie ». Bien que cette détermination ne signifie pas la fin de l'influence chinoise au Moyen-Orient, les dirigeants régionaux préfèrent clairement la sécurité offerte par les États-Unis à toute alternative, même s'ils continuent de désirer des relations économiques avec Pékin.


Lors des récents conflits, une part importante des capacités militaires de l'Iran a été ciblée, conduisant certains analystes à évoquer un affaiblissement temporaire de la puissance défensive du pays. Une telle situation, particulièrement dans les domaines économique et géostratégique, a des implications spécifiques pour les acteurs étrangers, dont la Chine, car Pékin dépend significativement des importations d'énergie en provenance de l'Iran. Toute perturbation, même de courte durée, du flux pétrolier pourrait exercer une pression sur le marché mondial. Par conséquent, les observateurs estiment que l'une des priorités importantes pour renforcer la dissuasion régionale est d'accélérer la reconstruction des capacités de défense aérienne et d'améliorer les capacités missile du pays – un enjeu qui, outre la consolidation de la position de l'Iran, influencera également les équations sécuritaires au Moyen-Orient.


Reflet de l'histoire : de 1967 à aujourd'hui


Pour les observateurs chevronnés du Moyen-Orient, ce qui se déroule aujourd'hui rappelle avant tout d'anciens schémas régionaux. En 1967, l'Union soviétique avait immédiatement entamé le processus de reconstruction des forces égyptiennes après la victoire éclair d'Israël lors de la guerre des Six Jours. La lourde défaite des alliés de Moscou lors de cette bataille constituait également une victoire pour les États-Unis. Aujourd'hui, près de six décennies plus tard, des motivations et des pressions similaires semblent façonner les relations compétitives entre les États-Unis, Israël, l'Iran et la Chine. L'administration Trump s'est engagée à fournir à Israël tout ce dont il a besoin pour contrer les menaces à sa sécurité, notamment de la part de l'Iran. Parallèlement, la Chine s'efforce d'aider Téhéran à atténuer la menace posée par Israël. Si de nouveaux conflits militaires éclataient entre l'Iran et Israël, ce processus se répéterait probablement, ajoutant une nouvelle dimension à la rivalité régionale entre ces deux pays. C'est exactement le schéma expérimenté pendant la guerre froide.


Cependant, cette analogie n'est pas parfaite. Contrairement à des pays comme le Salvador dans les années 1980, Israël n'est pas considéré comme un État totalement dépendant. De plus, Israël entretient des relations économiques significatives avec la Chine – des relations que les partenaires américains de l'époque de la guerre froide ne possédaient généralement pas. Malgré ces différences, il est difficile pour les observateurs d'aujourd'hui de ne pas avoir l'impression que l'atmosphère des années 1980 est de retour ; une époque où, sous l'ombre de la rivalité des superpuissances, les conflits à somme zero prévalaient et où le monde semblait bien plus dangereux.